L'homme tait parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allong, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, nou dans un mouchoir carreaux, le gnait beaucoup; et il le serrait contre ses flancs, tantt d'un coude, tantt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains la fois, des mains gourdes que les lanires du vent d'est faisaient saigner. Une seule ide occupait sa tte vide d'ouvrier sans travail et sans gte, l'espoir que le froid serait moins vif aprs le lever du jour. Depuis une heure, il avanait ainsi, lorsque sur la gauche, deux kilomtres de Montsou, il aperut des feux rouges, trois brasiers brlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hsita, pris de crainte; puis, il ne put rsister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s'enfonait. Tout disparut. L'homme avait droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferre; tandis qu'un talus d'herbe s'levait gauche, surmont de pignons confus, d'une vision de village aux toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, un coude du chemin, les feux reparurent prs de lui, sans qu'il comprt davantage comment ils brlaient si haut dans le ciel mort, pareils des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l'arrter. C'tait une masse lourde, un tas cras de constructions, d'o se dressait la silhouette d'une chemine d'usine; de rares lueurs sortaient des fentres encrasses, cinq ou six lanternes tristes taient pendues dehors, des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de trteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noye de nuit et de fume, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d'un chappement de vapeur, qu'on ne voyait point.