Une nuit
Par šo e-grāmatu
Le tonnerre du galop roula quelques instants encore travers lÕimmense dsert dÕarbres, puis se confondit par degrs avec la respiration plus vaste du soir. De lÕest lÕouest, toutes les cimes frmirent la fois, et sans quÕun seul brin dÕherbe remut sur le sol extnu, il entendait peiner et craquer les puissantes membrures, cinquante pieds au-dessus de sa tte.
Ñ_Zut_! dit-il simplement, avec un calme qui le surprit. Pas la peine de chercher la sale bte ce soir. Quelle sottise_!
Il ramassa par terre une des fleurs tranges et machinalement pongea sa paume et ses doigts poisss de sang. Le ptale, mou comme une pulpe, sÕcrasait mesure sur la plaie gonfle, avec une odeur de poivre et de cannelle, et sitt touch le sol, ainsi quÕun petit tas de boue grise, il semblait quÕelle comment dÕy pourrir. Il cracha dessus, par dgot.
DÕailleurs, la rumeur dÕen haut sÕenflait peu peu, dferlant dÕun horizon lÕautre, sur des centaines de lieues de feuillage peut-tre_; puis le vent faiblit tout coup, aprs une dernire et plus longue plainte, aigu, dchirante, surnaturelle, et pourtant si vivante quÕune bte inconnue y rpondit, au loin, dÕun cri pareil. De lÕhumus noir et vnneux, gonfl de toutes les fcondits de la corruption, crev et l, ainsi quÕune pte qui fermente, de grosses bulles livides, dÕnormes champignons phalliques, sortait une espce de bue pesante, hauteur dÕhomme. Tournant la tte, il vit noircir la pente du ravin quÕil avait eu tant de mal descendre, et lÕombre courir entre les troncs la vitesse dÕun cheval au galop. Il ne semblait pas que la nuit tombt du ciel, mais plutt que le jour remontt lentement, glisst lentement, de bas en haut, comme pomp par cet autre abme quÕon devinait sans voir, au del du vaste murmure des feuilles. Le crpuscule insidieux sÕvanouit lui-mme comme il tait venu, au point que le voyageur solitaire ne perut dÕabord des tnbres quÕune odeur plus violente et plus cre, parfois doucement mielle, de la fort endormie. La chaleur tait gale, assidue, atroce, irrsistible. Il clata dÕun rire nerveux, quÕil soutint longtemps, ainsi quÕune injure au silence et sa propre angoisse. Et se laissant enfin glisser terre, il tcha de se recueillir, en fermant les yeux.
